Des pages d’histoire

Un dimanche dans les années 30

Un dimanche pendant les années 1932-1935 à Tharaux, chez oncle Émile Charmasson par Roger Bernard. L’oncle Émile était le mari de Victoria, le père d’Edmond et le grand père de Ruben. Emile avait un frère, Léonce, grand père de Roger Bernard. Merci à Françoise pour cet instantané du village dans les années 30.

« Ma vie d’enfant comprend aussi des belles journées de détente. Ainsi, le dimanche, Grand-père Léonce Charmasson mettait son beau costume, aidé de sa femme Anna. Car les choses n’ont pas changé ! Je demande à Lucie : « où est ma chemise blanche ? Donne-moi une cravate assortie à mon pull-over. » Les générations passent et les mêmes problèmes de couple sont résolus par une gentille épouse. Je retrouve Grand-père dans mon interrogation vis à vis de Lucie. Les vêtements ont énormément changé, mais les hommes demeurent identiques. Seulement, la chemise de Léonce tombait jusqu’aux genoux et celle de Roger lui arrive à peine à la taille. Donc, Grand-père enfile son habit de fête en disant : « nous irons rendre visite à Tante Victoria ».

Emile Charmasson, le frère de Léonce et sa femme sont agriculteurs à Tharaux, village distant de 4 kms. Il me semble partir pour un grand voyage. A la sortie de St Jean, deux cafés drainent la population. Sur la route, l’animation est grande. Nous faisons une courte halte. Un terrain de boules lyonnaises est le centre d’intérêt. Une double haie de spectateurs observe attentivement le parcours de la boule qui vient caresser le bouchon et stoppe juste à côté, sous les ovations des badauds. La situation est tendue car Ginoux le tireur d’élite se prépare à jouer. Il parcourt le terrain, à grandes enjambées, mesure la distance, observe les inégalités du sol, puis revient prendre place derrière le cadre. Le silence des assistants montre la gravité du moment. Enfin, il prend son élan, fait quelques foulées rapides et s’arrêtant brusquement sur la ligne, jette violemment sa boule qui heurte avec un bruit métallique son but, sous les vivats. Nous repartons. De nombreux promeneurs endimanchés vont jusqu’au pont de Tharaux, voir la Cèze, lieu de rendez-vous habituel. Nous échangeons de nombreuses salutations.

Le village de Tharaux est bâti sur une colline élevée dominant la plaine. La côte est rude et nous devons mettre pied à terre et pousser nos vélos. Sur la pente, la chaussée est ravinée, de nombreux cailloux l’encombrent. Les charrettes de ce temps-là, pourvues de grandes roues à épais bardages de fer, se jouent des ornières. Une courte descente, un grand virage, voici blottie dans le fond du vallon, la maison d’Oncle Emile. En ouvrant le grand portail, une clochette résonne pour annoncer les visiteurs. Tante Victoria nous accueille de loin avec des gestes amicaux en disant : « montez ! montez ! »

Cette habitation, construite sur un terrain en forte inclinaison est sur plusieurs niveaux. Il faut monter trois marches ici, en descendre deux autres-là pour accéder aux diverses pièces. Même les chevaux pour entrer à l’écurie suivent un long passage en pente. L’aire située en hauteur est reliée à la grange au-dessus de l’étable par un petit pont qui permet aux charrettes de s’approcher de la grande ouverture du grenier par où sera introduit le fourrage. Vu de mes 10 ans, je trouvais très grande cette modeste arche de quatre mètres de haut.

Il fait beau, donc nous nous asseyons sous la treille et Tante Victoria nous offre à boire. Une parenthèse pour signaler que ma grand-tante est originaire de Mialet, un hameau de la vallée des Camisards dans les Cévennes, d’où elle a gardé cette empreinte de charité envers le prochain. Durant la grande guerre 1914-1918, Emile a bénévolement cultivé, semé les terres de son frère Léonce, soldat au front, laissant sa femme et deux enfants de 12 ans et 15 ans. Grand-mère Anna soignait un cheval afin que son mari puisse se mettre au travail dès son retour de l’armée.

Le frère de Grand-père nous propose d’aller visiter le jardin situé en bordure de la rivière. Ce lieu très important à la campagne est le garde manger de la famille ; en été, haricots verts, tomates, aubergines, courgettes, laitues, radis, carottes ; en hiver, cardons, navets, raves d’auvergne, panais, céleris, choux de Bruxelles. Il est cultivé avec soin et l’abondante eau de la Cèze permet des récoltes superbes échelonnées durant toute l’année. Mon Grand-oncle est fier de son travail. Il commente avec son frère de la manière de tailler les tomates pour obtenir des fruits plus gros. Il sort un couteau de sa poche – cet instrument est indispensable à l’époque des attelages, en cas d’accident, il servait à couper rapidement les courroies des harnais pour éviter au cheval de s’étouffer- donc il coupe une salade pesant presque deux kilos ! Elle se nomme Romaine de Tharaux, spécialité du pays. Ses feuilles sont droites, longues, très charnues ; le cœur volumineux aux feuilles serrées d’un vert tendre sera croquant à souhait.

Mais le soleil bas sur l’horizon indique l’heure du retour. Nous remontons vers la ferme. Le sentier bordé par les buis, des arbustes qui semblent vouloir nous retenir tant les branches nous frôlent et se referment après notre passage. Je trouve agréable de marcher ainsi caressé par ces plantes qui font corps avec moi. Elles me semblent me dire : « reste, nous jouerons ensemble ! » Je m’identifie à ces vers de Théodore de Banville :

« Les petits lapins dans les bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée. »

Grand-père Léonce est heureux de fouler pendant une demi-journée les chemins de son enfance. Toutefois, il faut rentrer pour soigner les chevaux avant la nuit. »

Roger Bernard

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